LA TACHE FAMILIALE

L'exercice ? Écrire un texte sur la base d'une image. 

Le silence. Pas le silence parenthèse, promesse d’un retour prochain à une normalité bruyante, à la vie qui va se faire de nouveau entendre. Non le définitif, le sans appel, le tombal. La maison d’un mort se pare d’un silence sans espoir. Elle tire un trait sur les bruits du quotidien. Elle a compris.

Perdu dans ses pensées, il tourne machinalement la cuillère dans un café qui n’a pas aperçu l’ombre d’un sucre, mais se laisse remuer sans broncher. Le cliquetis du métal sur la porcelaine est la chose la plus gaie, la plus vivante à cet instant.

Il essaie de se souvenir la dernière fois où il était assis dans ce salon, à regarder les motifs entrelacés du papier peint. Six ans, peut-être cinq. Dans ses souvenirs, sa mère était encore en forme à l’époque, à un niveau suffisant pour être insupportable. Et son bourreau de père déjà bien enterré.

Le voici de retour, dans ce village sans attrait, cette maison sans cachet, dans cette cuisine sans sucre, assis à sa place habituelle, pour inhumer sa mère et dans le même mouvement, celer les souvenirs d’une maison de famille disloquée.

Il essaie de retrouver les marques de sang sur le mur. Les rouge-orangés des motifs ne lui facilitent pas la tâche. Elles devraient être là pourtant, pas loin de sa chaise. Les baffes et les coups de poing s’invitaient souvent à table. Il a l’impression de les deviner, se ravise, se rapproche un peu, passe la main à la surface du papier, comme si toucher allait lui permettre de voir ce que ses yeux ne réussissaient plus à discerner. La main court sur le mur, la pulpe des doigts lit le relief des fleurs, la forme des feuilles, les bulles d’air.

Plus de cris. Plus de coups. Plus de pleurs. Plus de témoin. Et plus une trace de sang.

Il se recule, vaincu. La tache familiale appartient au passé. Et va y rester.

À lire sur la même image, Précision de Thibaux.

Photo by laura adai on Unsplash