SUR UN AIR DE NYAN CAT

fairytale ; conte de fées

L'exercice ? Écrire un  texte sur la base d'une vidéo (ici, Nyan Cat original)

Julie cligna des yeux. La pleine lune diffusait ce soir-là une lumière blanche qui perçait à travers le ciel nuageux du pays d’Auray. 

Les grands pins se dressaient devant elle, découpé par la lumière de la lune et tout lui semblait pareil à la grotte où enfant, elle se réfugiait la nuit pour échapper aux ombres. 

Une rumeur monta au loin et l’alerta, là-bas se déroulait quelque chose qu’elle cherchait. Elle redressa son buste d’un coup comme pour provoquer les arbres à la lisière puis commença à traverser la forêt. Son pas était rapide et décidé et ses lourds sabots écrasaient sans peine fougères et orties qu’elle traversait sans précaution. Et quand, par mégarde, une ortie frottait son mollet nu, c’était plutôt la plante qui repliait sa feuille comme frappé, d’une décharge électrique.

La forêt résonnait du chant d’un hibou, du frôlement des animaux qui se rendait plus bas vers la rivière, du bruit de l’eau, des claquements épais des ailes des oiseaux et maintenant du chuintement régulier de son pas de faucheuse.

– Hin – poussa une petite voix grincheuse

– Hin Hin – lui répondit une autre

– Tu vas trop vite Ju Hi !

– Trop vite Ju Hie ! Hin — Hin !

Les deux petites voix qui prononçaient ses mots entre deux petits halètements semblaient presque sorties des jupes de la jeune femme. 

Le hibou à l’affût fut moins dupe, il y avait là deux petits farfadets qui courraient, sautaient, rampaient et peinaient derrière la jeune créature humaine. 

– Hin Hin Ju Hie, attends-nous ! 

– Nous nous, nous ! Attends-nous !

– Tu vas trop vite ! Sabot devant, Sabot de vent ! 

– Et nous derrière. Hier hier ! 

– Tu tues le temps !

– Tout le temps !

Julie laissa continuer le sifflement aigu de la conversation des farfadets jusqu’à qu’elle n’en puisse plus. 

–  Holà, bêtes à foin, farfadet de saint Yves, roitelets de cuisine ! Taisez-vous ! Je n’entends pas le vent dans les feuilles ! 

—  CHuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuut !

Mal repris, les deux gnomes plièrent leurs oreilles penaudes et continuèrent leur course essoufflée derrière les mollets blancs.

La course se poursuivit encore pendant une dizaine de minutes plus silencieusement. Enfin pour les oreilles humaines de Julie, au ras du sol, mulot, renard, fouine et toutes bêtes nocturnes entendaient distinctement le sifflement agaçant et répétitif des deux folichons qui la suivaient. 

– Zin Zin

– Zin Zin

– Zin Zin

– Zin Zin

– Hou !

Les deux farfadets se rentrèrent dedans au moment où Julie s’arrêta en posant son sabot sur le sol d’un dernier coup de mollet comme si elle avait exactement calculé, la distance à parcourir. 

– Taisez-vous !

– Hon a rien dit ! 

– Hon né muet 

–  Hon né où ?

Curieux les deux gnomes écartèrent les branches d’un framboisier et rentrèrent à l’intérieur du buisson épineux pour tenter d’apercevoir ce qu’il y avait de l’autre côté. Julie s’était, elle, dissimulée derrière un jeune chêne. 

La lune devant eux se déversait dans vaste une clairière pleine d’ombres.. Au fur et à mesure de l’apparition et de la disparition des nuages, on apercevait ou non les ombres se mouvant tout autour de ce qui semblait être un tertre central.

– Ho !

–  Ho et Ho !

–  Mais fermez vos clapets ! Lapereaux de Pontivy !

Les oreilles des deux farfadets se baissèrent encore une fois face à l’insulte.

Julie scruta autour d’elle, inquiète à l’idée que ses compagnons aient pu les faire se repérer. Une fois rassurée, elle dirigea à nouveau ses yeux vers la clairière. Avec plus de temps d’observation, le tertre central se révéla être un gigantesque amas de bois. Un bûcher autour duquel s’agitaient les villageois. La lune les révélait maintenant sans peine comme les comédiens sur la place du village. 

Gros Paul, le Jacques, Soizic, Yves et Patrick, les trois Jean, Catherine, Justine, Colin, Arthur, Mathurin, Guénolé, les quatre Marie, les deux Pierre, les trois Anne, les deux Joseph et encore beaucoup d’autres. Tout le pays était là et s’affairait à nourrir le foyer central de branches ramassées dans la forêt. 

Julie se redressa, cligna des yeux pour attirer les farfadets et leur indiqua Colin.

–  C’est lui ! 

– Hooo..

–  Hiii..

– Ho et Hi !

–  Hi et Ho !

La mâchoire de Julie se crispa à nouveau à l’idée d’être découverte à cause de ses compagnons, mais elle dut se rendre à l’évidence, le grincement aigu de leur conversation ne portait visiblement pas jusqu’aux oreilles des villageois. 

–  il lé beau !

–  Lé ribot ! 

—  Hi hi hih hi hi !

–  Ha hahah ! 

Le rire secoua les épaules des farfadets.

Julie ne l’entendit pas tout à sa contemplation de Colin. Torse nu, pour se faciliter l’effort, il récupérait les lourdes branches ramenées de la forêt pour les déposer en haut du bûcher. Trop haut, il ne pouvait l’atteindre directement, alors il projetait ses bras en avant pour y jeter les branches. À chacun de ses mouvements, les rayons de lune frottaient son torse et ses bras nus. La lune même semblait obnubilée par son corps de breton modelé par le travail des champs et affûté par les campagnes en mer. Autour de lui les jeunes filles redressaient leurs coiffes d’un rire gêné et les plus âgées jetaient des regards pleins de réprimandes et de regrets. Les hommes, de leur côté, ignoraient sa beauté, soit par pudeur, soit par religion. Et puis Colin était bon camarade.

– Jue Hie ! 

–  Oh ! Jue Hie !

– C’est donc Hui !

– Ça pu !

–  Pu que ça, ça pu pu !

Julie soupira, elle savait bien ce que sous-entendaient ses compagnons, elle n’était pas en odeur de sainteté au village. Orpheline depuis quatre bientôt quatre étés, elle vivait à la frontière du village. Sans être réellement reconnue comme sorcière, les villageois la regardaient avec méfiance. Son père l’avait ramené d’une campagne de pêche alors qu’elle avait un an et imposé comme sa fille. À la vérité, il n’y avait rien à dédire sur ses grands yeux bleus, son nez busqué et ses pommettes hautes qui semblait découpé à même le visage de son père. Mais force était de constater que ses cheveux blond paille et son corps de lianes dépareillaient dans la région comme une paire de sabots à la messe de Pâques. L’absence de la mère et la volonté farouche du Jean de ne pas se marier avait fini de jeter l’opprobre sur cette famille. Et puis un jour, le Jean, comme tant d’autres, n’était pas revenu de la mer. Sa fille avait pleuré et c’était mis au labeur pour cultiver le maigre lopin de terre laissé par son père. Orpheline, moitié étrangère, Dieu l’avait punit comme sorcière et les villageois entendant bien exécuter sa sentence. 

Le feu apparut d’un seul coup dans la main d’un des villageois. À la vue de la flamme, la rumeur des conversations s’éteignit d’elle-même. Toutes et tous étaient fascinés par la flamme qui s’approchait pour allumer le bûcher. Le feu au bout de son étoupe lécha le petit bois au pied du monticule, léchât encore et encore, et très vite se répandit une couronne jaune et ardente autour du bûcher. Les villageois rosissaient de plaisir et de chaleur sous les flammes. 

Plus aigre que le caillé, le son de la bombarde commença à monter dans la clairière. Filles et garçons se firent face, et entre les deux groupes trônait le gigantesque foyer. En lignes parallèles, chacun des sexes avançait et reculait vers le feu, rythmant la danse du claquement des sabots. 

Julie mourrait d’envie de rejoindre le groupe des femmes, mais elle savait ce qu’elle risquait. Au mieux, les paysannes détourneraient la tête agacée, au pire elle risquait coups de sabot dans les molets et piqûres d’aiguilles à chignon dans les hanches.

Colin avait, pour la danse, remis une chemise en lin qui flottait sur son corps comme la voile d’un Terre-Neuvas. Il se dressait au milieu de la rangée des garçons, tête nue, seulement coiffée de ses longs cheveux. Un pantalon noir moulait ses hanches comme un vase antique et même le recteur du village ne pouvaient s’empêcher de penser à un Dieu ancien et barbare.

Il était beau et l’on ne pouvait deviner à le voir s’il le savait ou non. 

– Lait Ribot !

– Slurp, slurb, slurb

Julie se retourna effarée vers l’une des créatures qui buvait à grand bruit dans une gourde en cuir. 

– Jue Hie ! Jue Hie ! – Cria l’autre et pointant Colin de son doigt en temps.

– Jue Hie ! S’il danse, je le sors ! Et le sort alors te sourit !

L’autre lutin, surenréchit, la commissure des lèvres encore pleine de lait.

– Un sort au service de Jue Hie ! Haut les cœurs !

Julie hésitait, elle les avait emmenés pour ça, pour jeter un sort à Colin, mais au moment de passer à l’action un scrupule la retenait. N’était-ce pas tricher que de lancer un philtre d’amour à Colin ? Son hésitation résonnait en silence dans le sous-bois. Un silence parlant pour les deux lutins qui entendaient tout de près ou de loin.

– Faut pas qu’elle s’inquiète, Jue Hie !

– À mâle humain, Ho ho ! La kékette crie avant la tête ! 

– Tête et tête, tôt ou tard, viendra se repaître !

– Qui n’a ni queue ni tête est perdu pour la fête !

– Suffit chapeaux de six semaines ! Arrêtez vos rimes malades et faites ! Faites ce pour quoi vous êtes là !

Encore une fois, les deux créatures baissèrent la tête et les oreilles sous la virulence de l’admonestation.

Mais comme d’habitude cela ne dura pas, d’autant plus qu’ils avaient reçu un ordre. Ils portèrent à nouveau leurs yeux vers le feu où filles et garçons dansaient. La vigueur des flammes était encore trop forte pour qu’on puisse imaginer sauter par-dessus. Le son criard de la bombarde donnait d’ailleurs l’impression de souffler sur les braises. 

Après avoir jaugé de la situation, c’est-à-dire repérer sur les danseurs trente-trois médailles de baptêmes, douze chapelets, et quelques croix taillés dans du buis, les deux lutins se regardèrent.

– Ça craint du boudin  !

– Hon, ça sent pas l’Andouille !

– Regarde z'y doncque le Colin, il lé prop' sur lui !

– Plus bo qu’un louis ! Ni médaille ni ferraille ! 

– Allons z'y ! 

– Z'y Z'y – on y va ! 

Les deux créatures se mirent alors à chanter à tue-tête.

– Corne, corne, corne tournée !

– Bois et bois ne font pas forêt 

– Qui va au puits, peut qu’y tomber !  

– kiki qui y tombe est tout mouillé ! 

Leurs têtes n’arrivaient pas à la hanche de Julie et pourtant leur voix portait de plus en plus haut. Au fur et à mesure qu’ils avançaient dans leur chanson, le langage commun disparaissait pour laisser place à un idiome étrange qui résonnait dans toute la clairière. 

Maintenant, le chant semblait sortir de partout, le moindre terrier de lapin, trou de renard ou même nid de perdrix semblait siffler l’étrange mélopée. Autour du feu, personne n’y prêtait attention, les danseurs se regardaient et les plus hardis commençaient même à sauter au-dessus des flammes. 

Colin lui s’était retiré de la ligne des garçons et s’avançait vers le framboisier où s’étaient réfugiés nos deux choristes. Sur sa tête s’allumait le sourire béat d’un ange, il marchait d’un pas ferme, bien que légèrement chaloupé. 

Lorsqu’il arriva au niveau du buisson, Julie dut constater, bien malgré elle, que le léger tangage de Colin était dû, sans nul doute au poireau qui tentait à tout prix de sortir de sa culotte. Les farfadets avaient un peu forcé sur l’enchantement. 

Colin aperçut alors Julie qui sortait de derrière son chêne. Il s’arrêta aussi net que l’alignement des ardoises sur un toit et demanda : 

– Julie ? C’est toi, ma pays ? 

– Oui Colin, c’est moi.

– Julie, le blé est moins blond que tes cheveux, tes yeux moins vifs que les poissons de la mer et ta gorge pointe plus dure qu’un Kern.. 

Il arrêta sa tirade alors que l’un des deux farfadets sortait un violon. 

– Un poëte, chaud comme la poêle ! 

– Vas-y compère fait grincer tes cordes. 

Aussitôt, le lutin commença à jouer du violon, doucement, puis de plus vigoureusement. À ses côtés, l’autre gnome ne semblait plus ne se préoccuper de rien d’autre que du spectacle de Julie et Colin qui se dévoraient des yeux. Il s’était assis sur une souche et obnubilé par le spectacle, il plongeait machinalement sa main dans une sacoche d’où il sortait des champignons séchés qu’il mâchait les yeux perdus dans le vide. 

Le sortilège s’était arrêté, l’un des gnomes concentrés sur son violon, l’autre sur ses champignons, ils en avaient oublié de chanter. 

Julie et Colin se tenaient face à face, se serrant les mains comme s’il voulait commencer une ronde. Colin comme défait du sortilège se sentait transporté. Libéré d’un rêve, il se réveillait dans une réalité à la beauté coupante comme la faux des moissons. Il savait qui elle était, il comprenait qu’en la fréquentant il serait exclu du village, mais son cœur et son ventre se sentaient comme un grognard devant l’empereur. 

Julie s’avança d’un pas. Son ventre fourmillait de milliers de petits feux d’artifice. De près Colin semblait si beau, les vaguelettes de ses yeux bleus, ses épaules rondes mal cachées par sa chemise, son torse droit et ses jambes de marins plantés comme deux chênes dans la terre ferme. 

Au loin, la bombarde résonna quand Julie commença à entraîner Colin à sa suite dans les bois. Elle se mit à courir entraînant son amant à travers les bois. Ses grandes enjambées semblaient chevaucher la forêt même, et derrière le corps de Colin fendait l’air pour pouvoir seulement la suivre.

Derrière, on peinait.

– Hi hi Ju Hi, attends y nous !

– Mait'Colin, mets y un frein !

– Hin Hin Hin

– Zin Zin zin

– Ho ho ho

– Ha ha ah ! 

Mais bientôt, nos deux farfadets furent bien obligés de constater que les amants les avaient distancés. Tous les sortilèges du monde n’y pouvaient rien. Un premier finit par s’arrêter suivit du second.

– Hon hon !

– Han han

– Jue Hie est perdue !

– Dans les bras du Colin

– Maudit, joli ..Poisson de carême !

– Colin est tombé

–  Dans les filets de Jue Hie !

— Hi hi hi ! 

– Qui va à la pêche ..

– Chauffe les fesses ! 

– Ha ha !

— Hi hi !

Sous les arbres résonna encore longtemps le babillage des deux farfadets qui s’enfonçaient rigolards dans la forêt à la recherche d’un peu de lait et d’une nouvelle maîtresse à servir.  

L'exercice ? Écrire un  texte sur la base d'une vidéo (ici, Nyan Cat original)

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